Anne-Lise Riond Sibony

Le verre, fragments d’histoires.

Anne-Lise Riond Sibony

Le travail d’Anne-Lise Riond Sibony est polymorphe, chaque pièce emprunte des formes figuratives, abstraites ou fictionnelles afin d’incarner des fragments d’une histoire personnelle, familiale, d’une mythologie ou d’une histoire universelle.
Dans une délicatesse, une sensualité, chaque pièce brouille les pistes de ce que l’on pense regarder : un organisme cellulaire, un morceau de corps de l’antiquité, une tête ; il y a toujours en arrière-plan une histoire qui peut venir nous dérouter souvent avec humour.
Le verre devient pour Anne-Lise Riond Sibony le médium de ses rêveries, de ses archéologies personnelles, de ses souvenirs, de ses émotions.
Ses recherches ont autant de facettes que le verre a de propriétés. A l’infini l’artiste peut ainsi créer des passerelles, des jeux, des dialogues entre ses questionnements et la matière. Elle vient créer, confronter des champs de tensions entre des pôles opposés : figuration et abstraction, lyrisme et scientifique, fiction et réalité, légèreté et mélancolie.
Le verre est à sa merci pour prendre la formes des histoires, des expérimentations, des ailleurs qu’Anne-Lise veut créer ou faire (re) découvrir.
Ainsi, dans une série intitulée Marie Sklodowska, c’est le personnage de Marie Curie qui revit dans un ensemble de pièces en 2D, puis tri dimensionnellement, et enfin de façon virtuelle par un avatar sur les réseaux sociaux.
Des expérimentations cellulaires fictives, oniriques s’inventent dans le sillon du réel.
Ou encore dans les pièces soufflées Polymastos, dans lesquelles on découvre des fragments de chimères tirées de l’Artémis d’Ephèse qui porte un ensemble de seins.
L’artiste vient déconstruire, radicaliser, multiplier la forme pour nous donner à voir une nouvelle mythologie, abstraite et sensuelle.
Elle tire le fil d’une histoire qui se dessine puis s’élargit, se souffle pour se fixer dans une forme qui parfois lui échappe ; elle laisse une place à « l’accident », à l’imprévu que peut apporter le verre.
Dans sa série Têtes, elle dessine des personnages sur des boules de verre qui, une fois soufflées, se métamorphosent, se transforment ; la matière verre est impliquée dans la distorsion de la ligne, dans le glissement du 2 dimensions du dessin au volume, dans la déviation du souvenir.
Elle pousse le verre dans ses retranchements pour devenir davantage plastique.
Il peut parfois sembler disparaître au détour d’une nouvelle série, mais il reste toujours en filigranes à travers la peinture, le photogramme, le dessin: en arrière-plan, il y a toujours le verre.
L’art d’Anne-Lise Riond Sibony est un peu comme un palimpseste, dans son double statut que lui confère sa définition, il est à la fois la trace d’une disparition et porteur d’une nouvelle création.
Il se nourrit d’idées passées et s’inscrit dans des créations nouvelles, où chacune d’elle garde une trace de la précédente.
Dans sa dernière série Pétroline Dufayard, c’est le palimpseste familial qui s’y joue et qui se révèle dans des photogrammes, entre hommage et mystère, les histoires s’empilent, apparaissent sur le papier photographique dans la magie de la chambre noire.
Fictif ou réel, ce que nous regardons tente de nous duper, de véritables cellules issues d’un laboratoire ou un trompe-l’œil venant de l’imaginaire de l’artiste ? Anne-Lise Riond Sibony par des tours de passe-passe techniques, se joue de nous, tout comme le verre peut le faire.
Dans les contraintes du verre, elle empreinte des chemins détournés pour nous dévoiler des éléments, toujours sur un fil.
Cette matière, elle la rencontre en 1995, aux Etats-Unis. Elle vit alors à New-York et découvre l’Urban Glass, atelier de soufflage à Brooklyn.
Elle y suit une formation (Parsons School of Design) qu’elle va compléter en France au CERFAV (Centre Européen de Recherches et de Formation aux Arts Verriers- Vannes-le-Châtel) pendant deux ans.
L’artiste essaie, tâtonne, se confronte à la matière, aux techniques pour que l’œuvre se réalise coûte que coûte, et même si le verre répond parfaitement à l’insatiable recherche de l’artiste, par ses infinies possibilités, elle ne s’interdit pas de le faire dialoguer avec d’autres médiums tels que la peinture, la photographie, le dessin : Pourvu qu’il y est la forme !
Chaque pièce semble nous souffler : Que regardez-vous ?
Chaque pièce nous divulgue une histoire à demi-mots faisant partie d’un tout plus vaste, laissant au regardeur une place pour se faufiler, pour s’interroger et ainsi appréhender notre quotidien, nos souvenirs, notre mémoire collective.
Cette multitude de langages, cette pluralité de techniques confèrent une émotion touchante, presque familière aux pièces d’Anne-Lise Riond Sibony.
Anne-Lise Riond Sibony est nominée pour le Coburg prize for contemporary glass 2022.
Elle participera à l’exposition « Cabinets de curiosités » du 12 février au 21 août 2022 au MusVerre, et sera l’artiste invitée principale de la Biennale du Verre de Colombes en 2023.
Trois de ses pièces viennent de rentrer dans les collections du Musée des Arts Décoratifs.

Julie Dalouche, Paris, 2021

Contact : alrs@me.com